Où en Avignon, il n'y a que sur le Pont que tout tourne rond...

Publié le par Titony

Nous étions enfin arrivés... Ah! Avignon! La cité papale, une ville sous l'égide bienveillante du légat  de Sa Sainteté le Pape Pie V, le cardinal Charles de Bourbon, lequel avait succédé à Alexandre Farnèse mais ne siégeait pas dans la cité. Celle-ci était donc sous la houlette du co-légat Georges d'Armagnac...
Il y avait eu quelques événements notables ces dernières années. En 1562, le Baron des Adrets, François de Beaumont avait assiégé la ville... sans succès.
Il était clair que c'était la Divine Providence qui avait empêché cet hérétique de s'emparer de la cité papale. Par ailleurs, cette année-là, le Palais des Papes était utilisé comme prison pour les hérétiques. En 1564, le roi de France Charles IX y avait fait un passage au cours de son tour de France.

Nous franchîmes les remparts le coeur rempli d'espoir: dans une ville vraiment catholique, nous autres espagnols serions mieux considérés qu'ailleurs. Les rues tortueuses et peuplées s'étalaient en contrebas du Palais des papes, construit au cours du XIVe siècle.


Titien - Georges d'Armagnac et son secrétaire Guillaume Philandrier


Trouver une bonne auberge fut chose aisée... par contre, pour y dormir, ce fut une autre histoire. Car il est une chose que vous devez savoir: en Avignon, personne ne dort la nuit! Si en plein jour, cette cité semble être l'endroit le plus sûr et respectable du royaume de France (même si ce n'est PAS vraiment la France), la nuit, elle devient un lieu de débauche! Une véritable "cour des miracles". Non ceux indicibles et merveilleux de la Divine Providence mais ceux de la populace crasseuse et bruyante.
Forains, vauriens, voleurs, malandrins, ribauds et ribaudes... et des comédiens, lesquels se targuent d'être des "artistes". Flanqué de mon fidèle Iago, je décidai de m'adapter aux moeurs locales et de sortir la nuit. Une chose est notable : les alguazils font un très bon travail et on se sent en sécurité...

Nous déambulions dans les rues, en prenant soin d'éviter les cracheurs de feu, les jongleurs et les manants de toute sorte. Nous vîmes même une charrette emplie de corps, dont le conducteur hurlait à la cantonnade: "APPORTEZ VOS MORTS! 2 PISTOLES CHAQUE!!!" puis il frappa sur la tête d'un homme qui relevait la tête en geignant: "mais je ne suis pas encore tout à fait mort..."

Nous fûmes plus tard abordés par un énergumène vêtu d'une toge. Celui-ci avait quitté une litière de velours cramoisi... un simulâcre de banquet romain. Il m'interpela en ces termes:
- Ave manant! Prosterne-toi devant le grand Caligula. Baise ce pied que je te tends!
- Euh... répondis-je, totalement désemparé.
- Orgies! Orgies! Nous voulons des orgies! Vautrons-nous tous dans le stupre et la luxure et jouissons des dons de l'ivresse divine! Bois avec nous et goûte à tous les plaisirs que la Grande Catin nous offre!
- Madre de Dios! Où suis-je tombé? Je ne peux me joindre à vous... je suis Espagnol!
- Un Espagnol? Voyez-vous ça! Tu es sans doute Maximus Decimus Meredius le grand gladiateur, la réincarnation d'Achille... ou bien était-ce Hector? Enfin peu importe! Consul Incitatus, cesse de hennir bêtement et apporte du vin à notre invité.
- Non! Non! Je ne peux participer à votre débauche publique. Dis-je à l'importun.

Puis m'adressant à mon valet: "Allez, viens Iñigo, rentrons à l'auberge!"
- SANCHO!!!!! YE SOUIS SANCHO!!!! hurla-t-il, visiblement choqué par l'énergumène et sa clique de débauchés!

Ensuite, je me souviens qu'une demoiselle fort jolie et vêtue d'une robe tout simplement indécente se jeta à mon cou en me disant: "Viens là mon puissant gladiateur hispanique et fais goûter à ma chair la puissance de l'acier de Tolède!"
- Mademoiselle, ce n'est pas le lieu ni le moment. Et puis je vous connais à peine. Comment pouvez-vous oser vouloir vous donner à moi avant de m'avoir dit votre nom?
- Il vous manque des notions Señor, me dit-elle alors en un parfait espagnol.
- Des notions? répondis-je stupéfait.
- Nous ne sommes pas de vulgaires débauchés. Nous sommes des acteurs. Le co-légat étant grand amateur de théâtre de rue, ce dernier a octroyé le droit à toutes les compagnies de comédiens de la région de se produire dans les rues. Bien évidemment, ceci n'est pas officiel.
- Hum, je vois. Et quel est votre spectacle?
- Il s'intitule Caligula le débauché.
- Je comprends mieux. Mais que fait une fille comme vous dans un endroit pareil? Madre de Dios!
- Cessez donc de jurer, ça porte malheur!
- Je vous prie de me pardonner, Madame. Je suis Antonio de la Santa Crutcha, ancien Maître chapelier de la ville de Ségovie.
- Je me nomme Jezabel Tirso de Molina.
- Vous êtes...
- Espagnole. De Madrid plus exactement.
- Et seriez vous libre après votre... spectacle?
- Oui, je vous emmènerai danser sur le Pont, près de la chapelle de Saint Bénezet. Vous verrez, c'est très agréable... et on se croirait dans une des bodega de Barcelone.

Et nous allâmes danser... Je passai une semaine exquise dans cette merveilleuse cité en compagnie de la divine Jezabel. Les détails de cette romance n'intéressent que moi. Mais nous nous fîmes la promesse de nous revoir car sa troupe devait passer au printemps à Paris puis redescendre vers Nîmes au cours de l'été...

La première bonne chose qui m'arriva en France fut donc... espagnole!

Publié dans Récit

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