Où à Montereau on fait de la poésie...

Publié le par Titony

J'avais quitté Auxerre en bateau. Remonter l'Yonne jusqu'à son confluent avec la Seine à Montereau était à la fois sûr et confortable... sauf si vous êtes pressés. La péniche, c'est bien mais vous risquez d'y mourir d'ennui. Enfin, j'avais Juanito et mon rat borgne et tous les trois, pouvions passer des soirées complètes à jouer aux cartes (enfin le rat se contentait de nous regarder).

Theodor Rombouts - Joueurs de cartes

Il n'y a pas grand chose de notable à dire à propos de la ville de Montereau... si ce n'est que c'est là que fut larcineusement assassiné le Duc de Bourgogne Jean Sans Peur. Sur le pont, au cours d'une entrevue avec le Dauphin Charles (le futur Charles VII), par Tanneguy du Châtel et le sire de Barbazan le 10 septembre 1419.
Je me rendis sur ledit pont dès mon débarquement, étant donné que je ne devais rester dans cette cité que le temps de l'escale. On pouvait y lire les mots suivants:

 L'an mil quatre cens dix et neuf

sur un pont agencé de neuf

fut meurtri Jehan de Bourgongne
a Montereau ou fault Yonne


J'étais fort ému... et ma rencontre avec le fantôme du Duc à Champmol était encore fraiche dans ma mémoire. Je fus pris d'un accès de lyrisme et me mis à déclamer des vers sous les regards médusés des badauds.

Sous le pont de Montereau coule la Seine
Et nos rancoeurs
Faut-il qu'il m'en souvienne
La mort venait toujours après la haine
         Vienne la nuit sonne l'heure
         Les jours s'en vont je demeure
Les mains sur l'épée restons face à face
Tandis que sous
Le pont de nos fers passe
Des éternels regards l'onde si lasse
         Vienne la nuit sonne l'heure
         Les jours s'en vont je demeure
La mort s'en va comme cette eau courante
La mort s'en va
Comme la vie est lente
Et comme la hache est violente
         Vienne la nuit sonne l'heure
         Les jours s'en vont je demeure
Passent les jours et passent les semaines
Ni temps passait
Ni les Armagnacs reviennent
Sous le pont de Montereau coule la Seine
         Vienne la nuit sonne l'heure
         Les jours s'en vont je demeure


Détournement... "Le Pont Mirabeau"
Apollinaire, Alcools (1912)


En temps normal, ce genre de prestation m'aurait valu au mieux des huées et au pire, une lapidation en règle... là, j'eus droit à des silences polis et à des applaudissements gênés.

 

Publié dans Récit

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