Où dans la Tour Jean Sans Peur, Jezabel nous dresse un étrange récit...

Publié le par Titony

Je n'avais pas éprouvé de grandes difficultés pour rejoindre la Tour Jean Sans Peur et cela était fort heureux. Ladite Tour faisait partie de ce qui était autrefois l'Hôtel de Bourgogne, autrement dit, la résidence parisienne des ducs. Celle-ci, bâtie sur ordre de Jean Sans Peur entre 1409 et 1411, était destinée à fortifier la résidence sise contre l'enceinte de Philippe Auguste. L'Hôtel (dont la construction avait commencé sous le principat de Robert II d'Artois à la fin du XIIIe siècle) était a priori un lieu important de la capitale. J'ignorais qu'il était tombé en désuétude depuis la mort du Duc Charles en 1477. C'est pourquoi je ressentis un trouble certain lorsque j'appris que c'était ici-même que ma douce Jezabel m'attendait... Et les surprises ne faisaient alors que commencer, à mon grand dam, je le concède.

Le valet à l'entrée nous débarrassa de nos montures et transmit les ordres pour que nos bagages fussent installés dans l'Hôtel le plus rapidement possible. L'homme, laconique, avait un regard perçant et j'eus l'impression que lui et mon valet étaient de vieilles connaissances.  Je me fis conduire directement dans les appartements de mon aimée, laquelle lisait des lettres près de la cheminée. Sa robe sombre, découvrant ses épaules blanches et la faible lumière qui régnait dans la pièce lui donnaient un air surnaturel.
Quand elle me vit entrer, elle laissa tomber la missive qui occupait ses pensées et se jeta dans mes bras.


" Ah! Antonio! Te voilà enfin, j'étais morte d'inquiétude depuis que j'ai appris ce qu'il t'était arrivé à Auxerre. Me voilà soulagée..."
Elle m'étreignit avec tant de passion que cela réveilla la blessure que m'avait infligé Angel Jesus de Aranjuez y Cordobes mais les  doux baisers de la belle actrice l'éffacèrent bien vite.
- Le fourbe s'est échappé pendant notre duel... Il avait l'avantage mais Sancho est intervenu à point nommé.
- Je sais déjà tout cela... J'entretiens une  correspondance avec lui depuis un moment ...
- C'est-à-dire?
- Depuis le début... Depuis que Sa Majesté Philippe t'a fait sortir de l'Alcazar.
- Je crains de ne pas comprendre...
- Assieds-toi contre moi, servons-nous du vin et ensuite, je t'expliquerai tout.

Si jamais la Quatrième Dimension existe, il ne faisait aucun doute que je venais de plonger à pieds joints dedans... et cela ne faisait que me conforter dans mon impression que ma présence ici était tout à fait inopportune. Je servis deux verres de vin, bus le mien d'un trait puis m'en resservis un second. Jezabel plongea alors ses yeux noirs dans les miens.

- Antonio, mi amor, calme-toi, je t'en conjure...
- Je suis calme, j'ai simplement l'impression que tu me mens depuis le début!
- Je ne t'ai menti que sur un seul point: je ne suis pas une comédienne. Je suis une espionne pour le compte de Sa Majesté et mon rôle de comédienne n'est qu'une façade.
- Et? Que viens-je faire dans ton histoire?
- Je vais commencer depuis le début, ce sera plus simple. Angel Jesus de Aranjuez y Cordobes se nomme en fait Vittorio Corleone... quoique je soupçonne que cela ne soit qu'un autre pseudonyme. C'est un empoisonneur sicilien engagé par on ne sait qui, mais probablement un puissant seigneur étranger pour tuer notre roi.
- Certes, mais je ne vois pas où est le rapport avec moi.
- J'étais sa maîtresse lorsqu'il était à Madrid, ce qui m'a permis de le percer à jour. Quand j'ai transmis cette information à Sa Majesté, il m'a ordonné de l'abattre.
- Et il t'a échappé.
- En effet. Il avait quitté la ville avec sa femme et j'ai perdu sa trace. Et c'est là que le hasard t'a fait intervenir. Il s'est fait chapelier à Ségovie après avoir probablement assassiné le vrai Angel Jesus de Aranjuez y Cordobes... et toi, tu as couché avec sa femme.
- Certainement. Vu que tu as l'air si bien renseignée... Tu veux dire que la señorita Mathilda Cordoba est son épouse?
- Oui... Et la fureur qui l'a saisi à ce moment là lui a fait commettre une erreur fatale. Il a voulu tout d'abord te faire assassiner par des hommes de main et ayant échoué, il t'a fait accuser de non pureté du sang auprès du Saint Office.
- Je me souviens de cet épisode. Les misérables n'étaient que cinq et je les ai occis le temps d'un "Notre Père".
- Cela a surtout eu l'effet de le faire sortir de sa cachette et la publicité qui fut faite autour de ton affaire devint une arme à double-tranchant. Sancho m'informa de sa présence à Ségovie...
- Mais il disparut avant que ne débute le procès.
- Il savait qu'en sortant de sa cachette, il me donnait l'occasion de retrouver sa trace. Sans accusation et après intervention de Sa Majesté pour sauver son chapelier favori (dont le père avait jadis rendu de grands services à l'Empereur Charles), il n'y avait plus de procès. Cependant, un Sicilien cocu irait au bout de la terre pour sauvegarder son honneur et abattre le responsable. C'est pour cela que Sa Majesté t'a envoyé en France. D'une part pour éloigner un assassin, d'autre part, pour que tu m'aides à démasquer qui en est le commanditaire.
- Donc, la relation de mon voyage ici n'est qu'un prétexte?
- Oui et non. Dans tous les cas, Sa majesté aura besoin de savoir le plus de choses possibles sur la situation en France au cas où la succession du roi Charles IX viendrait à mal tourner... et il a aussi le besoin impérieux de savoir quel est le puissant qui se sert de Vittorio Corleone.
- Les ennemis de Sa Majesté sont nombreux et ont d'immenses moyens. Si on se débarrasse de ce Corleone et de son maître, il en restera au moins une bonne centaine et nous mourrons à cette tâche.
- Là n'est pas la question, mi amor. Une seule chose compte désormais: m'aimes-tu assez pour m'aider? Je sais que tu en as le coeur, le talent et la fougue nécessaires...
- Jezabel, ne me fais pas de chantage amoureux. Tu sais pertinemment que mon épée sera tienne. J'ai moi aussi un compte à régler avec ce Sicilien. Et puis cela donnera un sens à mon exil loin de chez nous. Mais j'ai encore une question: qui est Sancho?
- Mon père.
- Ah...
- Oui et c'est lui qui m'a formée au métier d'espionne.
- D'accord...

Nous parlions du loup... et le voici qui fit irruption dans la pièce, une missive à la main. Elle était signée de la main même de Sa Majesté et ce que j'y lus dépassa mon imagination. Le pire venait de frapper à notre porte...



Publié dans Récit

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S
Le pire frappe TOUJOURS à notre porte...
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