Où à Dijon, on discute des bienfaits (supposés) du vin avec un apothicaire...

Publié le par Titony

Quand j'étais encore en Espagne, on m'avait souvent vanté les mérites des vins de Bourgogne, soi-disant "les meilleurs du monde". Une chose est certaine, le vin rouge des ces contrées pique la langue! Et pire encore, il provoque des hallucinations. Ma "rencontre" avec le défunt duc Jean Sans Peur ne pouvait être due qu'à un effet pervers de ces boissons de Français que les Chartreux de l'abbaye de Champmol m'avaient larcineusement fait boire.
Je quittai les moines dès le lendemain pour me remettre promptement en route vers Dijon sans oublier de remercier le cellerier. Cependant, quand je lui fis mention des propriétés hallucinogènes du vin qu'ils produisaient, il fit la moue, fronça les sourcils et me tendit le majeur de sa dextre sous le nez. Certainement un geste mystique de moine dont je ne saisis pas la portée exacte et encore moins le sens. Pensant innocemment qu'il s'agissait d'un geste pour dire "bonne route", je l'imitai aussitôt. Il me claqua alors la porte du monastère au nez. Je fus une fois n'est pas coutume affligé de l'hospitalité des Français...


La route vers Dijon ne fut pour une fois ni pénible ni parsemée d'ennuyeux, de vilaines aux cheveux rèches, de colporteurs savoyards, de bandits de grand chemin ou autre faux devins. Il faut dire qu'un pied de vigne ne vient que très rarement vous provoquer... et qu'en Bourgogne, il ont des pieds de vigne à revendre! Cette contrée est un endroit sûr étant donnée qu'elle est sous l'emprise de Ligueurs, lesquels sont de fervents catholiques qui combattent les hérétiques avec une force qui les rendrait dignes d'être Espagnols.
Dijon fut au cours des siècles précédents la capitale du Duché de Bourgogne et connut son apogée sous le règne bienveillant des quatre ducs de la dynastie des Valois. Philippe le Bon avait fait reconstruire en 1432 le Palais Ducal, lequel a une architecture tout à fait superbe. Làs, après que Louis XI eut vaincu le Duc Charles, Louis XI ordonna à trois de ses architectes, Philippe de Montlevron, Vauzy de Saint-Martin et Jean le Nourrissier de construire un château à cheval sur les remparts de la cité. Un édifice à l'image de ce roi: sinistre.

Ce bâtiment a la forme d'un vaste trapèze. A chacun de ses angles se trouve une tour cylindrique ; un petit boulevard fait saillie sur la courtine intérieure, défendant la porterie. Sous Louis XII, en 1515, on ajoute un boulevard en forme de fer à cheval opposé à la campagne.
                      Château de Dijon

En 1513, Dijon fut  assiégée par les Suisses. Le gouverneur Louis de la Trémoille ne les fit partir qu'en leur promettant 400 000 écus.
La cité est administrée par un homme dont le titre est "Vicomte maïeur" qui  a le droit de haute, moyenne et basse justice, le droit de scel et de visite. Les clefs de la ville lui sont confiées et il dirige les archers ainsi que les compagnies des sept quartiers.
Pour finir, la ville comporte quelques édifices notables:
- la sainte chapelle
- l'église Notre Dame
- l'hôpital du Saint Esprit.

Tandis que j'étais à la recherche d'une auberge pour la nuit, mon regard fut attiré par une enseigne d'apothicaire: Jean Aiglefin, Apothicaire Catholique Assermenté, Expert ès Vins. Je devinai que cet homme pourrait répondre à mes questions concernant les effets désastreux des vins de Bourgogne. Je pénétrai donc dans son échoppe, laquelle était parfaitement et harmonieusement ordonnée. Rien à voir avec celle de Cousin Avi...
La tête de l'homme dépassait à peine de son comptoir et il me considéra de ses yeux bleus. Il m'adressa un bonjour cordial et m'invita à m'approcher.
- Buenos Dias Señor Aiglefin, j'aurais besoin de quelques renseignements sur les effets du vin...
- Vous êtes tombé au bon endroit, étranger.
- Voilà, j'ai passé la nuit dernière à la Chartreuse de Champmol et les moines m'ont servi du vin... et celui-ci a eu des effets pernicieux sur mes sens.
- Voyons, le vin de Champmol est réputé pour être un des meilleurs du monde. Il ne peut avoir d'effet pervers. A moins que...
- A moins que?
- Je vous passerai toutes les appellations des vins de Bourgogne. Je ne me contenterais que de vous parler des grands crus des alentours de Dijon: Marsannay, Fixin et les huit déclinaisons du Gevrey-chambertin.
- Je ne cherche pas à tout connaître... déjà que je ne comprends rien à vos appellations...
- En gros, chaque terroir a son appellation différente. Mais vous devez savoir que les principales régions viticoles de France sont la Bourgogne, Bordeaux et la Champagne. En Bourgogne, il y a quasiment une appellation par ville, ce qui est moins exact pour Bordeaux. Nos vins et les leurs sont réputés. Mais eux, sous couvert de leur dénomination Bordeaux peuvent vous vendre de très bons vins comme des piquettes infâmes à des prix prohibitifs... mais pas de ça chez nous.
- Vous vous rendez compte que personne ne comprend rien à votre façon de classifier les vins? Croyez-moi, un jour, cela nuira à votre viticulture et à son commerce.
- Aucune chance, personne ne fait du vin aussi bien que nous. Mais trève de palabres... On vous a servi du vin à Champmol.
- Oui.
- Et comment était-il? Charpenté? Long en Bouche? Son nez?
- Rouge... et il piquait la langue!
- Impossible... sauf si... on vous a servi un vin fait avec du Gamay...
- Plait-il?
- Philippe le Hardi avait interdit la culture du Gamay sur ses terres au profit du pinot noir en 1395... soit quelques années avant les premières productions de Champmol... Les moines ont dû vous servir un vin d'avant 1395 fait avec du Gamay. Un breuvage sasn doute destiné aux ouvriers du chantier et qu'ils auraient conservé. Il n'aurait pas forcément bien vieilli, mais de là à donner des hallucinations...
- Croyez-moi, Señor, sur l'âme de mon père Salvador Jesus de la Santa Crutcha, j'ai l'habitude de boire du vin espagnol... et que je n'ai jamais connu pareille mésaventure... même après plusieurs bouteilles.
- Jamais malade après du vin espagnol? Mmmmmmmmmmmmh... Et qu'avez-vous vu?
- J'ai discuté avec le fantôme de Jean Sans Peur devant son tombeau.
- Je l'ai vu aussi... ne vous inquiétez pas.

Je pris congé, car je sentais que continuer à parler de vin avec cet homme ne ferait que provoquer chez moi d'insupportables migraines... et je ne voulais pas qu'il prévienne les alguazils en me faisant passer pour fou.


Publié dans Récit

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